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Communautés de droit commun au Liban

La curieuse catégorie des communautés de droit commun au Liban

Bechara Karam, Docteur en droit, Professeur Assistant à la Faculté de Droit de l'USEK

Kamal Salibi avait qualifié le Liban de « maison aux nombreuses demeures », empruntant la formule à l'Evangile de Saint Jean. Ces nombreuses demeures sont les différentes communautés religieuses au Liban, qui jouissent d'un statut important dans le régime juridique libanais, et entretiennent des relations compliquées avec l'Etat.

Le droit des religions, ou droit des cultes, à distinguer du droit religieux qui est le droit interne des religions, est ce domaine du droit qui étudie le statut juridique des groupements religieux, ainsi que leur relation avec le droit étatique. Ce droit, au Liban, ploie sous le poids de l'Histoire. En effet, l'Histoire a donné à un certain nombre de communautés des privilèges juridiques et juridictionnels. Le Droit a dû respecter l'Histoire, et confirmer les droits acquis de ces communautés dites « historiques ».

Ceci fut réalisé par le fameux arrêté numéro 60 L.R. du 13 mars 1936, émanant du Haut-commissaire français, « fixant le statut des communautés religieuses », modifié et complété par l'arrêté numéro 146 L.R. du 18 novembre 1938.Cet arrêté a voulu poser les fondements du droit des cultes au Liban et en Syrie, tous deux sous mandat français, avec plus ou moins de succès. L'arrêté numéro 60 L.R. consacra son premier titre aux « communautés à statut personnel », qui ne sont rien d’autres que les communautés historiques. Ces communautés religieuses historiques bénéficient d'une autonomie législative et juridictionnelle dans leurs affaires de statut personnel.

La question se pose pour les autres communautés non historiques: quelle serait leur situation juridique? Le deuxième titre de l'arrêté numéro 60 est consacré aux « communautés de droit commun », sans les définir, mais, par élimination, et à travers les dispositions du titre, nous pouvons conclure qu'il s'agit là du cadre juridique des communautés non historiques.

Derrière l'arrêté numéro 60 L.R., sont « des hommes qui sont républicains et qui ont une vision française des institutions de l'Etat et de la séparation des pouvoirs religieux et civil ». Ils ont dû concilier les principes avec lesquels ils étaient familiers en France, avec les prérogatives des communautés présentes au Liban et en Syrie; en d'autres termes, concilier les droits des communautés avec les droits des individus. La catégorie des communautés de droit commun, en tant que catégorie alternative, rentre dans cette politique, et peut-être qu'elle a trouvé son inspiration dans les associations cultuelles du droit français (quand bien même la notion de cultes reconnus s'éloigne du droit des associations).

Cette catégorie des communautés de droit commun reste sans application, ou presque; aucune communauté de droit commun n'existe actuellement au Liban. Il est légitime dès lors de poser une série de questions: pourquoi une telle catégorie fut introduite dès le début? Quels groupements sont supposés s'organiser en tant que communautés de droit commun? Pourquoi n'existe-il pas actuellement de communautés de droit commun? Nous allons tenter de rechercher les réponses à ces questions, dans le régime juridique de ces communautés. En effet, ce régime restreint l'accès potentiel à la catégorie, d’où sa vocation limitée (paragraphe 1), et ce régime souffre d'une infériorité vis-à-vis des communautés à statut personnel, ce qui a aussi un effet dissuasif (paragraphe2).

Paragraphe 1. La vocation limitée des communautés de droit commun

Dans la logique de l'arrêté numéros 60- L.R., la catégorie des communautés de droit commun est une catégorie résiduelle (A), et le régime juridique de ces communautés exclut certains types de groupements (B).

A. Une catégorie résiduelle

La catégorie des communautés de droit commun s'insère dans le système de statut personnel établi par l'arrêté numéro 60 L.R. Il faudrait, avant d'évaluer sa vocation (2), apprécier sa place par rapport aux autres éléments de ce système (1).

1. Le système de l'arrêté numéro 60 L.R.

L'arrêté numéro 60 L.R. du 13 mars 1936, modifié par l'arrêté numéro 146 L.R. du 18 novembre 1938, à conçu un système cohérent de statut personnel, basé sur la reconnaissance légale des communautés religieuses.

Le système distingue entre deux catégories de communautés religieuses. La première catégorie est celle des « communautés à statut personnel », comprenant les communautés considérées comme historiques, et qui bénéficient d'une autonomie législative et judiciaire dans le domaine de leur statut personnel. C'est ce que certains désignent par le « fédéralisme personnel ». Ces communautés ont été mentionnées dans une liste annexée à l'arrêté. La liste comprend les communautés musulmanes, y compris les communautés non-sunnites, qui n'étaient par reconnus du temps des ottomans, ainsi que les communautés chrétiennes et juives qui bénéficiaient du temps des ottomans d'une autonomie dans leurs questions de statut personnel. L'arrêté numéro 60 L.R., concernant ces dernières communautés non-musulmanes, a confirmé l'Histoire. Par contre, concernant les communautés musulmanes, surtout les sunnites, il a contredit l'Histoire en réduisant l'Islam au statut d'une communauté non- musulmane. Ceci suscita la colère des musulmans, surtout en Syrie (l'arrêté numéro 60 L.R. étant commun au Liban et à la Syrie) et le Haut-commissaire dut promulguer l'arrêté numéro 53 L.R. du 30 mars 1939 excluant les musulmans de l'application de l'arrêté numéro 60 L.R. Depuis, les situations juridiques des communautés musulmanes et des communautés chrétiennes ont connu des développements différents, mais ceci dépasse le but de notre article.

La deuxième catégorie de communautés de l'arrêté numéro 60 L.R., celle qui nous intéresse dans cet article, est la catégorie des «communautés de droit commun »: c'est-à-dire les communautés religieuses non-historiques, et qui ne bénéficient d'aucune autonomie dans leur statut personnel.

En principe, il n'y a rien d'aberrant à ce qu'un Etat favorise certaines communautés par rapport à d’autres, tenant en compte leur importance, dans un souci de bonne gouvernance. Mais le problème de l'arrêté numéro 60 est que le privilège donné aux communautés favorisées est exorbitant: autonomie législative et judiciaire en matière de statut personnel.

La liste des communautés historiques favorisées de l'annexe 1 parait quasi-exhaustive, comprenant même des communautés très faibles numériquement. C'est ainsi qu'il convient de s'interroger sur les groupements pouvant, en effet, être reconnus en tant que communautés de droit commun.

2. La place des communautés de droit commun dans le système de l'arrêté numéro 60

L'annexe numéro 1 de l'arrêté 60 L.R. comprend la liste des communautés a statut personnel: 16 communautés, auxquelles furent ajoutées en 1938 la communauté protestante, et en 1996 la communauté copte orthodoxe. Malgré la « mansuétude » de l'annexe, certains groupements religieux étaient exclus, tels que les Yézidis, ou les Zoroastriens. La version initiale de la liste en 1936 omettait essentiellement la communauté protestante (ou évangélique). L'ancien article 22, figurant sous le titre relatif aux communautés de droit commun, disposait:

« Nonobstant les dispositions précédentes, la communauté protestante du Liban conserve en matière de statut matrimonial les pouvoirs juridictionnels et les attributions consacrées par la tradition et la reconnaissance tacite des pouvoirs publics ».

Nous en déduisons que, initialement, dans l'esprit du législateur, la communauté protestante (ou plutôt les communautés protestantes) n’étant pas une communauté à statut personnel, aurait dû s’organiser en tant que communauté de droit commun, mais en conservant le privilège relatif au statut matrimonial mentionné dans l'article 22. Or, deux ans plus tard, l'arrêté numéro 146 L.R. de 1938 ajouta la communauté protestant à la liste des communautés historiques. Cette « promotion » est significative, car elle nous éclaire sur la vocation de la catégorie des communautés de droit commun.

Cette catégorie était prévue comme une catégorie résiduelle pour les communautés non-historiques, considérés comme des communautés de second plan. Par « historicité », nous devons comprendre la présence historique de la communauté au Liban, et la reconnaissance historique de ses privilèges (surtout au temps des ottomans). Il parait que les autorités du mandat avaient hésité, dans un premier temps, à décider si la communauté protestante devait faire partie des communautés historiques (de là, la réserve de l'ancien article 22 mentionné ci-dessus, à propos des privilèges acquis du temps des ottomans).

Quoi qu'il en soit, le droit libanais n'a jamais connu une communauté de droit commun, à l'exception de l'éphémère « communauté orthodoxe pour le soutien des émigrés russes à Beyrouth », mentionnée par le Professeur Rabbath. Apparemment, il est plus facile de déterminer les groupements exclus de cette catégorie, que de trouver des groupements qui puissent en faire partie.

B. Groupement exclus de la catégorie des communautés de droit commun

Le régime juridique des communautés de droit commun exclut les groupements non religieux ainsi que les groupements religieux dissidents.

1. Exclusion des groupements non religieux

D'aucuns réclament la création d'une communauté séculière au Liban, qui prendrait la forme d'une communauté de droit commun. Une lecture attentive de l'arrêté numéro 60 L.R. montre que la catégorie des communautés de droit commun ne concerne que les seuls groupements religieux.

De prime abord, l'intitulé de l'arrêté précise le genre de communautés dont il s'agit: « l'arrêté numéro 60 L.R, du 13 mars 1936 fixant le statut des communautés religieuses » (car le terme « communauté » en soi peut designer toute sorte de groupement); dès lors, à chaque fois que l'arrêté parle de communautés, nous devons comprendre: communautés religieuses ( ainsi, dans le premier titre « des communautés à statut personnel », et dans le deuxième, « des communautés de droit commun »).

Il faut constater, d'une manière générale, que les cadres prévus pour les religions et cultes sont peu compatibles aux groupements athées ou philosophiques. Les athées, agnostiques ou indifférents, sont protégés - lorsqu'ils le sont - par d'autres moyens.

Ensuite, un deuxième argument peut être tiré des dispositions de l'alinéa 2 de l'article 10 et de l'alinéa 1er de l'article 17, qui citent, côte à côte, les membres d'une communauté de droit commun, et ceux qui n'appartiennent à aucune communauté; or, le législateur n'est pas supposé commettre de redondances, et chacune de ces deux expressions doit avoir son sens particulier.

Enfin les dispositions du titre des communautés de droit commun laissent induire assez clairement leur caractère religieux, tel l'alinéa 2 de l'article 15, qui parle de « service du culte », ou l'article 16 qui mentionne l'énoncé des « principes religieux et moraux ». D’où il résulte que la catégorie des communautés de droit commun n'est pas adaptée aux groupements non religieux.

2- Exclusion des groupements religieux dissidents

Etc… Revue Juridique de l’USEK – numéro 16, 2017